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Repas et couches rationnés, surbooking… Deux enquêtes choc dénoncent les dérives des crèches privées

Par Agnès Leclair

Publié , Mis à jour

00:00/04:58

Certaines crèches privées pratiquent le «remplissage de berceaux» afin d’optimiser leur rentabilité. Charpentier M / Andia.fr

Avant la parution de deux livres-enquêtes sur les crèches, les grandes entreprises du secteur sont sur le gril.

Des repas rationnés et des enfants qui terminent la journée «la faim au ventre», des pratiques de «remplissage de berceaux», des couches changées à la chaîne, des rythmes infernaux pour les auxiliaires de puériculture… Un scandale de l’ampleur de celui des Ehpad Orpea peut-il éclater dans la petite enfance?

Avant la parution de deux livres-enquêtes sur les crèches, les grandes entreprises du secteur sont sur le gril. Le Prix du berceau: ce que la privatisation des crèches fait aux enfants (Éditions du Seuil) de Mathieu Périsse et Daphné Gastaldi, et Babyzness (Éditions Robert Laffont) de deux journalistes du Parisien, Bérangère Lepetit et Elsa Marnette. Les deux ouvrages se focalisent sur les pratiques des grands groupes privés apparus dans le secteur des crèches il y a vingt ans: Grandir-Les Petits Chaperons rouges, Evancia-Babilou, La Maison bleue et People and Baby.

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Ce dernier est plus particulièrement dans le viseur depuis la mort d’un bébé de 11 mois qui avait ingéré un produit caustique dans une crèche privée à Lyon, en 2022. Ces dix dernières années, la grande majorité des 90.000 nouvelles places de crèches ont été créées dans le secteur privé. Ce dernier est passé de «11% de part de marché en 2013 à 24% aujourd’hui», relèvent les auteurs du Prix du berceau. «Une poignée de groupes (Babilou, People and Baby…) détiennent la majorité des établissements et se sont lancés dans une course à la rentabilité», pointe Babyzness.

«Le cœur du problème, c’est le surbooking»

Pour optimiser les profits, certaines structures n’hésiteraient pas à rationner les repas et les couches pour faire des économies et à réduire l’encadrement au minimum. «Pour réduire les coûts par exemple, 20 repas peuvent être commandés pour 25 enfants inscrits. C’est le problème des logiques d’optimisation. Petit à petit, des collègues se retrouvent avec des repas manquants», indique Julie Marty-Pichon, présidente de la Fédération des éducateurs de jeunes enfants et membre du collectif Pas de bébés à la consigne.

«Mais le cœur du problème, aujourd’hui, c’est le surbooking, avec un taux de remplissage à 115%, qui plus est dans une période de pénurie de professionnels». Le système de financement par tarification horaire, basé sur l’activité à l’acte, a entraîné cette dérive qui «nuit à l’accueil des enfants et épuise les salariées». Il est tout particulièrement pointé du doigt par les professionnels de crèche.

Le secteur des crèches est devenu un marché. Cela a métamorphosé le milieu peu à peu

Julie Marty-Pichon, présidente de la Fédération des éducateurs de jeunes enfants

«On trouve des sections pour les bébés avec une professionnelle pour six enfants qui ne marchent pas. Il faut les porter, les changer, les aider à manger… C’est impossible de répondre rapidement à tous leurs besoins primaires avec si peu de bras», rapporte Catherine, une éducatrice. «Le secteur des crèches est devenu un marché, avec la mise en concurrence du privé, du public et de l’association sur les appels d’offres depuis 2004. Cela a métamorphosé le milieu peu à peu», déplore Julie. L’arrivée des microcrèches, avec des normes assouplies, a accéléré le changement.

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«Chaque dysfonctionnement est insoutenable et doit être condamné. Mais il n’y a pas de politique de rationnement de repas ni de couches chez nos adhérents. Les enfants mangent à leur faim et sont changés autant de fois qu’ils en ont besoin», répond Elsa Hervy, déléguée générale de la Fédération française des entreprises de crèches. Cette instance représente 2700 crèches et microcrèches, gérant 62.000 places. Le groupe People and Baby n’en fait cependant pas partie.

Dans un secteur déjà en crise, en raison du manque criant de personnels, du manque de valorisation des métiers de la petite enfance, la fédération déplore des «attaques idéologiques» contre le secteur marchand, susceptibles de toucher «les parents, nos professionnels» et de «jeter l’opprobre sur tout un secteur».

Subventions publiques

Un business des berceaux très rentable – une industrie de 1,5 milliard d’euros rappellent Mathieu Périsse et Daphné Gastaldi – soutenu en partie par des subventions publiques, une «maltraitance institutionnelle» des tout-petits faute de temps et de personnels…: tous les ingrédients semblent réunis pour un scandale comme celui provoqué par Les Fossoyeurs de Victor Castanet.

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Mardi, le gouvernement ne semblait cependant pas y croire alors qu’un rapport choc de l’Igas sur la «maltraitance institutionnelle» en crèche est déjà sorti au printemps dernier. Ce dernier avait déjà tiré la sonnette d’alarme et fait le parallèle avec les Ehpad. «Comme dans le secteur des personnes âgées, la régulation insuffisante du secteur marchand peut laisser prospérer des stratégies économiques préjudiciables à la qualité d’accueil», avertissaient alors les enquêteurs.

Cette double charge sur les crèches privées tombe très mal pour Aurore Bergé, la nouvelle ministre des Solidarités et des Familles, qui a la charge de lancer le Service public de la petite enfance. Soit la création de 100.000 places de garde entre 2023 et 2027 avec une enveloppe de 5,5 milliards d’euros.

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« Graves dérapages verbaux », « pratiques non conformes » … le récit de Laurine, ex-directrice d’une crèche privée

Par Thomas Poupeau Le 7 septembre 2023 à 05h50, modifié le 7 septembre 2023 à 10h14

Elle a choisi de faire de sa mauvaise expérience une force. Laurine (le prénom a été changé), désormais consultante en petite enfance, est une ancienne directrice de crèche privée. Aujourd’hui, ses clients sont… ses anciens collègues. Elle est l’une des personnes qui témoignent dans « Babyzness », le livre choc de Bérangère Lepetit et Elsa Marnette, toutes deux journalistes au Parisien – Aujourd’hui-en-France, qui explore le monde redoutable des crèches privées.

On parle ici de 80 000 berceaux dans toute la France, subventionnés par l’État, et vendus à prix d’or par quelques entreprises privées – Babilou, People & Baby, Les Petits Chaperons rouges et La Maison bleue. Laurine, elle, a quitté « l’enfer » au bout de quatre ans.

Des dérapages imputables au manque de personnel

Propulsée, à 26 ans, aux responsabilités d’une structure de 40 berceaux à Paris, propriété du groupe Les Petits Chaperons rouges – le leader en France –, elle a vite compris que la pression financière était incompatible avec le bien-être des enfants dont elle avait la charge. Quand on la contacte pour nous parler de son histoire, elle est encore émue au souvenir de cette période.

« L’impact de notre réalité de professionnelles est très clair sur les enfants. J’ai vu beaucoup de pratiques non conformes, engendrées par la surcharge de travail ou du personnel mal formé, mal payé… De graves dérapages verbaux envers les enfants au moment du goûter, par exemple. Certains qu’on laisse pleurer en disant qu’ils vont bien s’arrêter en s’épuisant. Un autre qu’on laisse dans son pipi parce que personne n’est disponible pour le changer. Ce ne sont pas des exceptions, c’est fréquent », égrène Laurine. Elle n’en veut pas aux auxiliaires de puériculture, ses anciennes collègues : « Quand on est épuisé, ou pas à sa place, cela explique certaines situations », veut croire l’ex-directrice.

Des collègues usées par le système

Il y a aussi le « bricolage » constant qu’elle doit mettre en place. « Un jour, le cuisinier de la crèche s’est barré du jour au lendemain. J’ai dû m’y atteler pendant des semaines, faire des purées et des plats pour 40 petits, sans aucune formation », se souvient-elle. Souvent, ce sont les auxiliaires de puériculture absentes qu’elle doit remplacer. « Je jonglais entre le terrain, les bébés, et l’administratif. Parfois, nous étions en deçà du taux d’encadrement légal. Mais tenus de ne pas fermer, car en délégation de service public avec la Ville de Paris, et c’est très compliqué de ne pas honorer le contrat », raconte encore Laurine.

Elle décrit des équipes « épuisées » par les heures supplémentaires, preuve que le recrutement, dans un métier aux salaires très bas, est mission quasi impossible. « C’est simple : je n’ai jamais eu d’embauche via le service dédié de l’entreprise ! J’ai réussi en mettant moi-même des petites annonces sur Facebook », dit-elle encore. Sur tous ces sujets, elle alerte le siège. Ses messages restent lettre morte. Il n’y a pas qu’à son échelle que ça tangue. « En une année, j’ai vu… quatre coordinatrices (les personnes chargées de piloter plusieurs crèches) ! Elles partaient au bout de quelques mois, usées par ce système. »