Le groupe s’est fait épingler par la justice pour non respect de ses accords sur l’égalité professionnelle. La plaignante s’estimait lésée dans son déroulement de carrière par ses congés parentaux et maternité.
par Catherine Abou El Khair 08/10/2015 Liaisons Sociales Magazine
Une petite piqûre de rappel. Le 5 octobre, la section RATP de l’Ugict-CGT a rendu publique une condamnation de la régie pour discrimination liée au sexe. Hier, au siège de l’entreprise, elle a enfoncé le clou en distribuant des tracts, alors même qu’un nouvel accord sur l’égalité professionnelle est en cours de négociation. « On veut sensibiliser les salariés. Au sein de la RATP, les femmes sont désavantagées en raison de leur sexe, et des congés maternité qui ne leur permettent pas de faire carrière. La RATP n’applique pas ses propres accords », explique Lysiane Le Mignon, négociatrice de la CGT.
« Décrochage de carrière »
Un récent cas porté devant la justice appuie les propos de la secrétaire du syndicat Ugict-CGT. En juin 2015, la Cour d’appel de Paris a reconnu « une discrimination liée au sexe et aux congés parentaux » à l’encontre de Laure Thibaut. Qui s’est traduite, pour cette ingénieure de 49 ans, « par des sous-emplois et sous-activités ayant compromis [son] avancement et le montant de ses salaires ».
Engagée en 1996, cette polytechnicienne avait pris des congés parentaux et maternité à partir de 1997, après les naissances de trois de ses enfants. À son retour définitif au travail à partir de l’an 2000, mais à temps partiel, « le mal était fait et le décrochage de carrière était en marche», explique-t-elle. Elle perd alors son précédent poste. « À partir de 2003, on m’a chargée de construire le tableau de bord des achats. Une mission accessible à un jeune diplômé, qui n’avait rien à voir avec mes responsabilités précédentes, lorsque je supervisais 60 personnes », confie cette mère de cinq enfants.
« Culture de présentéisme »
Ses demandes visant à évoluer dans ses missions et à passer « cadre supérieur » n’ont pas abouti. Il fallait, pour cela, être à temps complet… Une exigence exprimée oralement, lors de ses entretiens d’évaluation, mais aussi inscrite noir sur blanc dans l’une de ses évaluations annuelles… « Impossible d’être promue cadre supérieur sans reprendre une activité à 100%. À la RATP prévaut une culture de présentéisme. Vous ne pouvez pas être à 20 heures chez vous pour dîner en famille », assure-t-elle.
Malgré une « demande d’attention » adressée à la direction en 2010 pour discrimination et harcèlement, Laure Thibaut et son employeur ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un poste correspondant à cet échelon. « Je suis repassée à temps complet mais mon avancement posait problème en raison de l’augmentation de salaire qu’il fallait m’accorder. Je me suis retrouvée sans poste à partir de 2012 », explique celle qui est, par ailleurs, affiliée à la CFE-CGC.
Problématique connue
La RATP, qui ne souhaite pas commenter, s’est pourvue en cassation. « Elle aurait pu admettre cette erreur, qui est le produit du passé, et repartir sur de nouvelles bases. Mais, comme beaucoup d’employeurs, elle s’enterre dans une situation de déni, commente Emmanuelle Boussard-Verecchia, l’avocate qui a défendu Laure Thibaut.
Pour cette spécialiste des discriminations, l’arrêt de la Cour d’appel est novateur : « c’est la première fois que je constate qu’une entreprise se fait condamner pour le non-respect de ses propres engagements sur l’égalité hommes-femmes. La justice signifie ainsi que l’employeur, comme les organisations syndicales, sont responsables de l’application d’un accord à partir du moment où elles le signent ». À ce titre, les sections CGT et CFDT de la RATP, seules à soutenir Laure Thibaut, ont obtenu réparation pour « préjudice moral » et « défaut de respect des accords internes ».
Résultats limités
Le dernier accord sur l’égalité professionnelle, qui date de 2012 est censé traiter cette problématique. « La RATP s’applique à faire respecter le principe d’un déroulement de carrière non impacté par les absences liées aux périodes de congés de maternité, de parternité et d’adoption », peut-on y lire. Tout salarié s’estimant lésé à cet égard « peut saisir son responsable ressources humaines, afin que sa demande soit examinée ».
Quelques indicateurs sont aussi prévus pour déterminer les mesures à mettre en place : écarts dans les évolutions de carrière, taux de féminisation des catégories cadres, cadres sup et cadre dirigeant… La RATP affiche quelques résultats, dans son dernier rapport RSE. Mais ils demeurent limités. « En 2014, plus de 41% des cadres recrutés par la maison-mère sont des femmes », indique-t-elle notamment dans le chapitre consacré à l’égalité de traitement.